Jacky Le Poittevin a fait sa crise d'ado' à quarante ans.

Avant cette date ? Des mariages, des enfants, des divorces, un « vrai » métier (comme disent les parents) dans le milieu de l'industrie... Une vie presque banale ! Mais déjà la musique avec le bal tous les week-ends.

Après cette date : une carrière de pianiste professionnel, parfois sur le devant de la scène, le plus souvent comme accompagnateur.

Et s'il continuait à grandir !

 

Quinze ans sous les parquets. Dansez maintenant !

Une vie de musicien né dans les années cinquante commence souvent par le bal. Après quelques touches de formation académique, dès dix-sept ans, Jacky Le Poittevin entame sa carrière dans les orchestres régionaux. Du Farfisa aux synthétiseurs, en passant par l'orgue Hammond B3, il a baladé ses claviers dans tout le grand ouest de la France. D'abord comme musicien puis, tout au long des années 80, avec son propre ensemble, l'un des meilleurs de la région. Il lui en reste des souvenirs ineffaçables : « Jouer du Pink Floyd devant plus de deux mille danseurs en Bretagne ! ».

 

Accompagnateur tout terrain : l'homme à côté de la chanteuse...

En 67, il tient déjà le piano derrière une jeune interprète, une activité qu'il poursuivra au gré des rencontres jusqu'au milieu des seventies. Au début des années 90, Jacky passe progressivement du bal au cabaret, un univers plus intime, au service d'une voix. Ça commence vraiment avec Marielle. Ensemble, ils remportent en 1995 la Truffe d'or, le concours annuel de découvertes organisé par les stations locales de Radio-France. Pendant deux ans, il accompagne également Serge Utgé-Royo, chanteur anarchiste militant. A l'occasion, il y aura aussi Allain Leprest, Marc Ogeret, Ulysse Dubois... Mais ce sont surtout les femmes qui sont séduites par la sensibilité de son jeu et ses capacités à s'adapter à tout type de répertoire. Pour quelques chansons ou pendant plusieurs années, on le reconnaît derrière Véronique Pestel, Nina Robin, Francesca Solleville, Brigitte Lecoq, Chantal Petit, Catherine Dargent, Florence Gonnet, Marie-Gabrielle Poidevineau, Clémentine, Véronique Lepostec, Geneviève Charlot, Loriot... La liste intégrale serait trop longue. A l'occasion de son jubilé pour fêter ses quarante ans de scène, en 2008, elles étaient plus d'une quinzaine à venir témoigner le temps d'une chanson.

Ce sont les mêmes qualités d'écoute qui lui ont permis un soir de jouer au pied levé avec Jeanne Moreau, de travailler régulièrement avec Vocal+, l'atelier de Jacques Barathon, ou occasionnellement avec la Compagnie Régine Chopinot.

 

Hé là-haut, Léo !

A vingt-trois ans, Jacky découvre Léo Ferré. Il y avait bien eu quelques succès joués en bal : C'est extra, Jolie Môme... Mais en 1973, c'est la révélation. Les coups de gueule du chanteur, Y'en a marre… Voilà qui parle au trublion rétif à toute autorité. Et la poésie... Ferré lui ouvre d'un seul coup tout un pan de la littérature française.

Trente ans plus tard, en 2004, le voici pour la première fois seul, derrière un piano à queue, en première partie de Jeanne Cherhal, avec son « Hommage à Léo ». La mélancolie, La chambre, Le bonheur, Avec le temps... Les mots s'installent, portés à bout de voix par cette grande silhouette arrivée sur scène les pieds nus, comme en gage d'humilité.

C'est encore grâce à Léo que l'on retrouve, à partir de 2005, Jacky dans le trio de chanteurs de « La Rencontre », un spectacle bâti autour des répertoires de Brel, Brassens et... Ferré, inspiré par l'unique réunion de ces trois monstres le 6 janvier 1969.

Ces deux spectacles tournent maintenant dans toute la France depuis plus de dix ans !

 

Le passeur. Ni Dieu, ni maître !

C'est d'abord une ombre, celle du piano. Les touches caressées, la main retenue. C'est ensuite la puissance. Le musicien peut se transformer en véritable bûcheron. C'est aussi la voix, profonde. Tu n'en reviendras pas... Les mots d'Aragon magnifiés par la musique de Ferré prennent une tonalité particulière quand Jacky évoque son grand père mort à la guerre. Jolie Môme. Au détour d'un refrain, la mélodie populaire se transforme en un rap tonique. L'âge d'or. Abandonnant le clavier, le chanteur apporte le texte magnifique jusqu'au bord du plateau et les images du poète viennent en vagues s'échouer sur les premiers rangs du public.

Derrière le respect pour les mots et la musique, il y a la volonté, inexorable, de transmettre. Son travail est celui d'un passeur qui cherche la forme la plus appropriée pour faire (re)découvrir l'artiste Ferré. Jacky a passé l'âge des atermoiements. Ce qu'il porte, il l'emmène au bout. Il peut être imprévisible, inattendu, follement drôle... Il est toujours entier et spontané.